Gorges-du-Loup : La tragique méprise de Saint Arnoux

Non loin de Saint-Paul-de-Vence se niche le pittoresque village de Tourettes-sur-Loup. En empruntant la route de Grasse, on atteint le Pont du Loup, où une route secondaire plonge dans les gorges profondes de la rivière du Loup. À l'ouest du pont, une chapelle marque l'emplacement de l'ancien ermitage de Saint Arnoux, figure parmi les nombreux saints populaires de Provence.



La vie de Saint Arnoux est contée à travers une légende effrayante, dont les événements se sont déroulés au XIe siècle. Arnoux était un modeste paysan, honnête et travailleur. Il partageait une humble cabane avec son épouse dans cette région montagneuse, à quelques kilomètres de la maison de ses parents. Ses vieux parents chérissaient tendrement leur fils et entretenaient également une relation très proche avec leur belle-fille. Cependant, la distance et la difficulté du chemin entre leurs deux demeures rendaient les visites fréquentes impossibles.

Un jour, les affaires d'Arnoux l'obligèrent à voyager. Au matin de son départ, il informa sa femme qu'il serait absent pendant plusieurs semaines. Mais après seulement une demi-journée de marche, il réalisa qu'il avait oublié un outil essentiel chez lui. Il fit demi-tour et arriva à sa maison au milieu de la nuit. Silencieusement, sur la pointe des pieds, il se glissa dans la chambre pour surprendre sa femme. Lorsqu'il s'approcha du lit, il blêmit d'horreur : deux personnes gisaient sur l'oreiller. Était-ce un étranger dormant à côté de sa femme ?  Aveuglé par la fureur, il tira son couteau de son étui et le planta dans le cœur des deux corps.

La Grotte Saint-Arnoux

A peine les deux victimes avaient-elles rendu leur dernier souffle qu'Arnoux recouvra ses esprits. C'est alors qu'il réalisa qu'il venait de poignarder ses propres parents. Quelle tragédie !  Pourtant, la situation aurait pu être si simplement expliquée. Dans l'après-midi, ses parents avaient frappé à la porte de leur belle-fille, désireux de leur faire une visite surprise de quelques jours. La maîtresse de maison, qui appréciait beaucoup les personnes âgées, les avait reçus avec toute l'hospitalité possible : elle leur avait préparé une bonne soupe pour le dîner et leur avait offert le meilleur lit de la chambre à coucher. Elle-même avait dormi dans le foin, au grenier.






Fête de village à Bar-sur-Loup, un weekend au début du mois de juillet



Arnoux ne put se remettre de ce terrible acte. Ravagé par une douleur insupportable, il s'en alla, errant sans destination. Il songea même au suicide. Il se tint au bord d'un précipice, mais hésita, ne voulant pas ajouter un suicide au double meurtre de ses parents. Il descendit alors abruptement dans les gorges et y découvrit une grotte, aujourd'hui encore appelée Grotte d'Arnoux. Il y passa le reste de sa vie dans une solitude absolue, cherchant l'expiation. On raconte qu'il ne se nourrissait que de racines et dormait à même le rocher de la grotte. Cette vie d'austérité dura si longtemps qu'une empreinte de la forme de son crâne serait restée gravée dans la roche, visible encore de nos jours.

Sa soif de rédemption était si immense et sa vie ultérieure si pieuse qu'il est encore aujourd'hui vénéré comme un saint dans toute la Provence. La source située devant sa grotte est réputée pour ses vertus curatives, particulièrement efficaces contre les maladies cutanées tenaces. Par le passé, des personnes mutilées ou handicapées de toute la région seraient venues s'y baigner, suivant des rituels spécifiques dans l'eau claire de Saint-Arnoux. On rapporte également que jusqu'au milieu du siècle dernier, de nombreux malades atteints de goutte s'y baignaient.

Des chapelles de Saint Arnoux, à Seillans dans le Var et récemment rénové à Le Mas dans l'arrière pays de Grasse


En septembre 2023, lors d'une réforme diocésaine, plusieurs paroisses ont été regroupées. Celles de Roquefort-les-Pins, Le Rouret, Châteauneuf-de-Grasse et Opio ont ainsi été renommées « Paroisse Saint Arnoux ».


Des familles anciennes, deux chapelles et un grand artiste

Bien que l'on ne sache pas exactement qui l'a construite, la chapelle d'origine de Bar-sur-Loup, qui appartenait à la paroisse voisine de Tourrettes-sur-Loup, a toujours été entretenue par la paroisse de Bar-sur-Loup. Certains pensent que le Comte de Bar-sur-Loup l'aurait édifiée en guise de repentance pour ses méfaits, notamment la rupture du jeûne.

En 1867, la chapelle d'origine fut gravement endommagée par des tempêtes et de fortes pluies, seul le buste de Saint Arnoux restant intact. Le curé de Bar-sur-Loup projeta une reconstruction rapide afin de permettre aux nombreux pèlerins de continuer à s'y rendre entre la mi-juillet et la mi-septembre. La famille Agard, établie de longue date et reconnue pour sa générosité, proposa de financer le projet. Antoine-Fortuné Agard, chef de famille, avait déjà fait preuve de cette générosité par le passé, notamment par un don à l'église Saint-Antoine et au baptistère de Bar-sur-Loup. Une plaque commémorative à Bar-sur-Loup atteste que la paroisse de Bar-sur-Loup obtint le droit d'usufruit de la chapelle, comme en témoigne l'inscription : « Honneur et reconnaissance à Mr Antoine-Fortuné Agard, qui a cédé à perpétuité la jouissance et l’usufruit de cette chapelle à la fabrique de l’église du Bar, sa patrie. 1867. ».

La vaste propriété de la famille Agard


Cependant, la nouvelle chapelle fut érigée à Pont-du-Loup, sur le territoire communal du village fortifié voisin de Gourdon, ce qui incita Victor Giraud, le propriétaire de la chapelle détruite, à mobiliser des moyens pour la restaurer. Malgré ces efforts, elle demeure une ruine à ce jour. Néanmoins, les pèlerinages purent reprendre dès 1881. Deux pèlerinages traditionnels avaient lieu le 18 juillet, l'un partant de Bar-sur-Loup et l'autre de Tourrettes-sur-Loup. La chapelle de Pont-sur-Loup ne joua plus aucun rôle, et la statue de Saint-Arnoux est à ce jour en possession de la famille Agard-Giraud, unie par de nombreux liens et mariages.

Avec Picasso dans l'atelier Madoura en 1949, "Paysage" (1963) de Jules Agard


Les familles Agard et Giraud étaient de riches propriétaires terriens, marchands et parfois même parfumeurs à Grasse. De plus, les Agard possédaient une très importante huilerie d'olives. Antoine-Fortuné Agard, né en 1827 à Bar-sur-Loup, était le fils de François Agard et de Marie Cécile Rosalie Giraud. La famille Agard se ramifia et étendit son influence à l'ouest du département des Alpes-Maritimes. L'artiste le plus célèbre de cette lignée est Jules Agard (1905-1986), qui fut le potier-tourneur majeur des œuvres de Picasso à l'atelier Madoura de Vallauris.


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